En ce mois d’octobre, je dois embarquer à 21 heures sur le trois mâts-barque « Le Belem » pour un périple de trois jours entre Brest et La Rochelle. Avec Martine, nous avons profité de cette journée pour aller à la découverte des deux expositions proches de Brest. En premier lieu, au fonds culturel Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau, pour une exposition photographique de grande envergure consacrée à l’artiste Henri Cartier Bresson. Constituée de 300 œuvres, cette rétrospective met en valeur les différentes facettes du photographe qui a parcouru le monde entier des années 30 jusqu’à sa mort. Nous voyons défiler les grands évènements qui ont marqué le XXème siècle à travers une mise en scène remarquable.
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Nous continuons notre parcours vers l’abbaye de Daoulas. Nous laissons notre véhicule sur le port et nous poursuivons à pied vers l’abbaye en profitant de la balade photographique en lien avec l’exposition « Des samouraïs au kawaï » accueillie au sein de l’abbaye. Cette promenade dans les jardins et les rues de Daoulas nous fait découvrir les photographies de Françoise Huguier et de Hans Silvester. A l’abbaye, nous entrons dans le monde de la société japonaise et les relations tissées avec l’Occident. Nos sens sont éblouis par la beauté et le raffinement des œuvres d’art présentées : costumes, meubles, estampes, céramiques.
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Le jardin médicinale de l'abbaye                                                                     Palanquin d'une princesse porté par quatre serviteurs

Nous quittons la plénitude méditative du jardin des arbres médicinaux pour nous retrouver sur les bords de la rade de Brest. Nous déambulons sur le sentier côtier longeant le port de plaisance du Moulin Blanc. Puis nous dînons en face du quai Armand Considéré d’où nous apercevons les hauts mâts du Belem. Nous avons opté pour un restaurant Burger « O’Local » récompensé pour ses produits frais et locaux et ses recettes au caractère bien trempé. Le Belem est amarré dans l’enceinte sécurisée du port de commerce. Il me faut attendre 21h pour pouvoir accéder au quai et dire un adieu déchirant à ma compagne. Le second capitaine fait l’appel des 41 stagiaires sur les 48 embarqués qui vont passer une première nuit au port. Je dispose de la couchette et d’un mug portant le numéro 64.  Nous nous installons tant bien que mal vu l’exiguïté des modules de quatre bannettes. Malgré la chaleur ambiante et le ronronnement des groupes électrogènes, je m’endors facilement.
Le petit déjeuner est servi entre 7h et 8h par les apprentis-matelots (nous autres) dont le numéro figure sur la fiche placardée au bas de la descente vers le faux-pont. Cette fiche désigne les tiers (16 stagiaires) et les heures de quart. Mon numéro apparaît dans le 3ème tiers pour les quarts de 4h00 à 8h00 la première nuit et de minuit à 4h00 pour la seconde nuit.
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A neuf heures, le commandant Aymeric Gibet nous réunit dans le grand roof pour nous présenter les membres de l’équipage et dévoiler le planning de la journée. A dix heures, le pilote monte à bord pour permettre au Belem de sortir de la rade de Brest en toute sécurité. Le livre de bord du commandant : « Nous larguons nos aussières, et nous évitons par tribord pour rejoindre la rade de Brest qui se vide à grande eaux à travers le goulet éponyme. C’est la période des grandes marées d’équinoxe, et le courant est fort. » Le pilote quitte le navire.
Les gabiers professionnels nous montrent les premières manœuvres pour hisser le zodiac à bord. Nous avons besoin de nous entraîner pour synchroniser nos halages. Le Belem ne pourra envisager de passer le raz de Sein qu’à partir de 17 heures, à l’approche de la renverse de marée et de la diminution de la force du courant. Nous naviguons plein ouest, en longeant le phare des Pierres Noires.
Après un succulent repas préparé par les deux cuisiniers professionnels, nous établissons les voiles d’avant : le grand foc et le faux foc et les voiles d’étai. J’admire ceux qui grimpent sur la grande vergue. Mon état nauséeux ne m’incite pas à tenter l’expérience malgré toutes les assurances prises par l’équipage. Nous suivons le cours sur la sécurité : port de la brassière, point de ralliement, fonctionnement des canots de sauvetage.
Nous passons le raz de Sein à proximité des phares de la Plate et de la Vieille. Route plein sud. Nous hissons les phares carrés du grand mât et du mât de misaine excepté les cacatois et les perroquets.
Tout le monde se précipite le long des filières pour admirer un groupe de dauphins à flanc blanc qui vient jouer dans la vague d’étrave du trois-mâts.
Je suis du deuxième service pour le repas à 20 heures. La houle se fait sentir et quelques places sont restées libres à l’immense table implantée dans la batterie du faux pont. Le fait de manger me rend moins susceptible au roulis. Je ne tarde pas à regagner ma bannette car la nuit sera relativement courte. Le commandant : " S’ensuit une belle nuit à la voile, parfois un peu humide avec quelques grains, mais qui permit à la lune presque pleine d’entrer en scène en fin de nuit, magistralement dévoilée par les derniers nuages bas, laissant entrevoir quelques étoiles par la même occasion. "
A quatre heures du matin, un matelot vient nous réveiller. Equipés, nous montons sur le pont et nous rejoignons la dunette pour être répartis en tiers : sur les seize élèves matelots, cinq restent à la barre, cinq autres en disponibilité dans le grand roof et six autres sur le gaillard d’avant à la veille. Je commence par la disponibilité avec Fanny, notre référente. Nous ne restons pas les bras croisés car il faut brasser les vergues. Ensuite, nous nous retrouvons à la barre. Quand mon tour arrive, mes congénères sont appelés en renfort pour manœuvrer. Je reste seul à la barre sous la surveillance de l’officier de quart enfermé dans la timonerie. Tout le monde revenu, nous apprenons à tracer une route, à reconnaître les phares, à faire une triangulation. Puis nous quittons la dunette pour une heure de veille à l’avant. Aucun bâtiment ne se signale. A 7h00, nous rejoignons la batterie pour le petit déjeuner.
De 8h00 à 9h00, le 3éme tiers est préposé au nettoyage des parties communes : salle à manger et sanitaires. Les corvées terminées, l’ensemble des stagiaires rejoint le grand roof pour le briefing quotidien du commandant. Toutes les voiles sont envoyées : perroquets et cacatois. Le navire a fière allure. Le commandant : "La journée du lendemain fut marquée par le passage de Belle-île en matinée, sous une allure réduite et toutes voiles dehors, le vent mollissant. Le soleil radieux se balance derrière les voiles, le Belem roulant parfois un peu fort sous l’effet d’une houle marquée et peu appuyée par le vent faible."
Des stagiaires se portent volontaires pour monter dans la mâture. Pour ma part, je ne me sens pas d’aller me promener sur le marche-pied de la vergue qui se balance au gré d’une houle bien formée.
Après le repas, je vais m’allonger sur ma bannette, prendre un peu de repos. A 14h30, le commandant nous invite dans le grand roof à suivre une conférence sur le transport maritime et l’histoire passionnante du Belem avec moultes anecdotes.
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Je me rends sur la dunette pour prendre la barre. Sous sa voilure carrée complète et une houle en travers, le Belem dévie sensiblement du cap demandé par l’officier de quart. Je dois sans cesse intervenir pour redresser la route.
Les dauphins sont revenus se donner en spectacle. Ils glissent le long de la coque, bondissent hors de l’eau, jouent avec la vague. Nous admirons leur corps fuselé dont l’aérodynamisme leur permet d’atteindre des vitesses de 30 km/h.
A 20h00, la cloche sonne les cinq coups appelant au deuxième service du dîner. Puis dans la foulée, la bordée du 3ème tiers rejoint sa couchette pour pouvoir assurer son quart au milieu de la nuit. A minuit, je suis réveillé par mon voisin de dessous. Je revêts mon ciré, je chausse mes bottes et je rejoins la dunette. Claire, notre matelot attitré, nous propose pendant notre disponibilité, de visionner un film retraçant la vie à bord d’un clipper allemand dans les années 1930. Nous nous installons dans le petit roof des officiers. Les voiles ayant été ferlées durant le premier quart, le Belem avance au moteur. Cap au 130°, nous voyons défiler les lumières du phare de la pointe des corbeaux de l’île d’Yeu. Pendant notre veille, des bateaux de pêche illuminent l’horizon de leurs feux de navigation et de pont. La lune éclaire le pont du Belem de sa clarté diaphane. A 4h00, je retourne dans ma banette et je m’endors aussitôt. Le bruit des bols, l’odeur du café, le réveil de mes collègues m’enjoignent de quitter le confort douillet de mon sac de couchage. Pour le service, nous sommes affectés au nettoyage des roofs. Muni d’une éponge et d’une raclette, je nettoie les vitres extérieures des roofs et de la timonerie. Le commandant : "Nous passons au petit matin le phare des Baleines, faisons route sur le fort Boyard, devant lequel nous évitons par bâbord juste avant le repas de midi."
Le commandant fait son dernier briefing. Nous redescendons dans nos modules boucler nos sacs.
"S’ensuit l’établissement des huniers et des basses voiles pour tirer un bord dans le pertuis d’Antioche. Ainsi, nous longeons la côte de l’île d’Oléron avant de virer lof pour lof avant la pointe de Chassiron, pour honorer notre rendez-vous avec le pilote."
Le pilote monte à bord. Le Belem entre dans le chenal du port de commerce de La Rochelle et franchit l’écluse à marée montante pour venir s’amarrer au pied de l’ancienne base sous-marine. Nous descendons par l’échelle de coupée et nous serrons la main à tout l’équipage aligné sur le quai. Nous traversons toute l’enceinte sécurisée du port avant de rejoindre nos proches qui n’ont pu venir voir notre arrivée.
Carte Belem